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BONOTTO – À la Recherche du Temps Perdu

Giovanni Bonotto aime la Nature, celle avec un N majuscule et majestueux, régnant sur une Terre magnifique qui tendrait, parfois, au magique. L’homme à l’origine de la Fabbrica Lenta croit...

Giovanni Bonotto aime la Nature, celle avec un N majuscule et majestueux, régnant sur une Terre magnifique qui tendrait, parfois, au magique. L’homme à l’origine de la Fabbrica Lenta croit en Darwin, en l’évolution des espèces, des animaux et des hommes, et prêche un retour vers le véritable rythme de la vie, loin des exigences de la production de masse, imposée par une humanité qui court, qui court, qui court sans cesse et sans trop savoir pourquoi.

La Fabbrica Lenta, c’est l’usine, non pas la plus lente, mais la plus raisonnable, la plus respectueuse aussi : respect de tous ceux qui y travaillent, en remettant l’homme et ses mains au centre du processus de création.

Le créateur hors-norme, qui place le surréalisme, comme défini par André Breton, au centre de ses tissages, loin de toute pensée romantique, nous a livré, si ce n’est une partie de ses secrets, en tout cas un aperçu de sa pensée complexe, absolument positive, ouverte et apaisante.

De cette rencontre entre le maître-tisserand philosophe et Leclaireur, nait une folle envie de compter les lunes, au rythme d’une circonvolution originelle, et de respirer au rythme des éléments.

 

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Leclaireur : Vous avez une approche tout à fait personnelle, en toutes choses…

Giovanni Bonotto :  Mon travail est né par hasard. J’ai commencé à travailler ici parce que je suis fils de tisserand. Je suis aussi sémiologue, j’ai été éduqué dans la philosophie du langage, et c’est une approche culturelle qui m’a apporté une vision différente de mon travail. Je vois la mode à la manière d’un philosophe, et le monde attise sans cesse ma curiosité. Je ne parle pas du monde tel qu’il est perçu, envisagé par les individus, mais de celui que la nature nous offre.

Pendant mes séjours à l’étranger, au Japon, en Patagonie, en Chine, en Inde, j’ai découvert des endroits extraordinaires, des terres extrêmes. La nature nous a offert des scénarios extraordinaires, que peu de gens connaissent. Mon travail trouve ses origines dans la recherche, dans la protection, et parce que je m’efforce d’être toujours présent durant ces moments que la nature nous donne. Une nature originale, sans artifice et sans approche culturelle.

 

L : C’est-à-dire ? Donnez-nous des exemples…

GB : Je fais allusion par exemple à des animaux comme le lièvre sauvage de la Terre de feu. Il cherche à se protéger des vents puissants qui fouettent les glaciers. La nature, telle que Darwin nous l’a enseignée, s’exprime, et a permis à ce lièvre d’évoluer et de résister grâce à son long pelage qui le protège du froid des tempêtes.

D’autres phénomènes incroyables existent… Le yak du tibet doit supporter de fortes chutes de neige : son pelage doit être fait d’une laine légère et imperméable. Le guanaco vit dans la cordillère des Andes : il supporte, grâce à son poil parfaitement isolant, des écarts de températures gigantesques entre la chaleur du jour et la fraîcheur nocturne.

Il existe beaucoup d’autres histoires de ce type, comme par exemple, le coton primordial qui vient du Zimbabwe, ou le coton croquant, originaire d’une région située entre la Turquie et la Syrie. Le monde, la nature, nous donnent à voir des merveilles, qui ont influencé mon travail, qui en sont le moteur. Ce n’est pas tant un parcours culturel d’une vision personnelle poétique ou lyrique, ou une inspiration que je trouve chez l’Homme. L’inspiration vient plutôt de ce patrimoine incroyable que la nature nous lègue. Je crois qu’il y a peu d’artistes, je crois peu dans la vision romantique de l’artiste ou du designer de génie. En revanche, je crois que la culture contemporaine doit embrasser une communauté.

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L : Une communauté de culture ?

GB : Une communauté différente du concept pro-communiste, plus proche des web communities. La collaboration, les échanges entre les individus permettent la croissance. La mode n’est donc plus l’affaire intellectuelle d’un designer unique. La mode c’est nous, avec ce que nous faisons au quotidien. Marcel Duchamp expliquait que le nouveau concept d’une oeuvre d’art est la vie elle-même. Toute extension de la vie est une oeuvre d’art, et non plus une simple affaire d’esthétique – liée à un instant donné. Mon travail veut « être », veut créer une communauté. Ici, chez Bonotto, deux cents maîtres artisans participent à cette collaboration. Nous réussissons, ensemble, à créer un matériau, à créer des suggestions. Nous nous inspirons de la nature qui nous offre des histoires inouïes et les traduisons, non pas avec la façon de penser d’un designer, mais avec notre capacité à produire, avec les mains intelligentes d’une communauté entière. Aujourd’hui, Bonotto, c’est ça.

 

L : Qu’est-ce exactement que « Fabbrica lenta » ?

GB : Fabbrica lenta représente le nouveau modèle de l’industrie textile. Aujourd’hui, notre secteur est saturé, en termes de production. Augmenter la production n’a plus de sens. Lorsque j’étais enfant, tous les collègues industriels de mon père passaient leur temps à investir de l’argent dans le but d’augmenter la productivité des machines. Leurs investissements servaient donc à améliorer les performances productives des machines et à diminuer la main d’oeuvre.

Toute cette recherche en matière de technologie – visant à produire plus avec moins d’ouvriers – a transformé nos usines en de gigantesques photocopieurs. Trente ans plus tard, les Asiatiques sont arrivés sur le marché avec de l’argent tout neuf et ont acheté nos « photocopieurs », voire des machines encore plus modernes et performantes. Cette industrie manufacturière a été homologuée et standardisée dans le monde entier. L’Italie a adopté le même modèle. La crise économique liée à ce modèle de production en est la conséquence.

Fabbrica Lenta est la réponse à cette immense difficulté, à ces industries de photocopie.

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L : Comment avez-vous mis en place cette réponse ?

GB : Nous avons commencé par nous réapproprier la culture des mains, et à faire de ces mains des personnes intelligentes. L’ouvrier ne supervise pas le processus de production ; il devient un maitre-artisan, qui travaille avec une technologie pointue permettant la collaboration entre l’artisan et la machine. Le travail des mains, la manufacture, l’amour des mains intelligentes, pénètrent à l’intérieur du tissu. Ce dernier devient une superficie extraordinaire. Le tissu parle, il n’est plus anonyme. Le grand maitre Léonard de Vinci avait une obsession dans sa vie, celle de peindre l’air. Il y est parvenu dans ses tableaux, comme La Vierge aux rochers ou la Joconde.

Aujourd’hui encore, entre 700 et 1000 visiteurs viennent chaque jour admirer la Joconde au Louvre. C’est une oeuvre magique, dans laquelle Léonard de Vinci est parvenu à représenter l’air. Chez Fabbrica Lenta, nous voulons chaque jour peindre l’air dans nos tissus, grâce aux mains intelligentes. Nous souhaitons réussir à créer des superficies et des trames magiques. C’est cela la valeur du travail d’artisan lorsqu’il est fait dans les règles de l’art, avec des machines mécaniques, et non plus électroniques. C’est cela, exploiter l’héritage fantastique de matières premières que la nature nous a offert. Personne au monde ne peut le reproduire si ce n’est la nature elle-même, au travers de milliers d’années d’évolution.

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L : Vous avez, au cours de votre vie, croisé le chemin d’individus extraordinaires, magiques parfois, eux aussi…

GB : J’avais 5 ou 6 ans la première fois que j’ai rencontré Marcel Duchamp. Il venait jouer aux échecs avec mon père, il restait deux heures. Il ne parlait jamais. Pendant ces parties d’échecs, mon père et lui parvenaient à échanger silencieusement une grande quantité d’informations et à communiquer de manière extraordinaire, alors que c’était une personne très taciturne, qui ne me disait jamais bonjour. Sa présence m’effrayait, en fait.

Je me souviens aussi d’une jeune fille, japonaise, qui me nourrissait de tofu et de soja des jours durant alors que je rêvais de Nutella et de bonbons. Elle s’appelait Yoko Ono, et quand elle venait ici, ce n’était pas la joie, au contraire : j’essayais toujours de prendre la fuite.

Il y a aussi ce monsieur, qui est venu planter des arbres sur mon terrain de football, le rendant impropre au moindre jeu. J’ai découvert ensuite qu’il s’agissait de Beuys.

C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’autres rencontres avec des personnalités appartenant à la dernière avant-garde du XXème siècle. Ces artistes ont déstructuré la vision du management, de l’administration des affaires et ont apporté leurs visions pleines de fantaisie qui nous permis de regarder notre travail différemment. C’est l’Art qui a donné naissance à Fabbrica lenta, qui a ensuite pu féconder les procédures industrielles.

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L : Vous participez à SHIGOTO Project, cette nouvelle aventure imaginée par Leclaireur…

Le projet Shigoto me touche précisément puisque ma réflexion est dédiée à redéfinir les bases de ce qu’est la mode. Ces dernières années, la mode a subi l’inflation des « séries limitées ». Cela fait vingt ans que la mode est davantage axée sur la communication que sur le produit.

Il est temps pour moi de transmettre tout ce que j’ai appris ces dernières années sur la matière première. Chez Leclaireur, j’ai trouvé… des frères. Des frères qui partagent les mêmes sentiments que moi, qui cherchent à retracer et redéfinir l’archétype originel de la mode.

Aujourd’hui, avec SHIGOTO Project, je souhaite mettre à disposition le savoir-faire de la Fabbrica Lenta, et le réintégrer aux origines de la mode, à l’international.

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